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Chercheur.se.s en colère Covid 19

Coronavirus : le cri de colère d’un chercheur du CNRS

Les chercheurs sont désormais invités à réagir dans l’urgence, alors que la recherche fondamentale sur les virus avait été délaissée.

Extraits de la tribune de Bruno Canard chercheur sur les coronavirus.

Comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus, notamment sur leur mode de réplication. Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience.

Mais, en recherche virale, en Europe comme en France, la tendance est plutôt à mettre le paquet en cas d’épidémie et, ensuite, on oublie. L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. Désormais, quand un virus émerge , on demande aux chercheur·ses de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain…


La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate. Avec mon équipe, nous avons continué à travailler sur les coronavirus, mais avec des financements maigres et dans des conditions de travail que l’on a vu peu à peu se dégrader…

Et j’ai pensé à tous les dossiers que j’ai évalués.

J’ai pensé à tous les papiers que j’ai revus pour publication.

[Ndlr: Une partie du travail de recherche consiste à lire et évaluer les travaux de collègues. La course actuelle à la productivité privilégie la quantité à la qualité des publications, conduisant à une perte de temps.]

J’ai pensé aux deux congés maternité et aux deux congés maladie non remplacés dans notre équipe de 22 personnes.

J’ai pensé aux pots de départs, pour retraite ou promotion ailleurs, et aux postes perdus qui n’avaient pas été remplacés . J’ai pensé aux 11 ans de CDD de Sophia, ingénieure de recherche, qui ne pouvait pas louer un appart sans CDI, ni faire un emprunt à la banque.

[Ndlr: Les recrutements de fonctionnaires en baisse ne suffisent plus à maintenir les effectifs des équipes de recherche. Ils sont remplacés par des CDDs favorisant la précarité des personnels contraints de quitter l’équipe au bout de quelques années.]

J’ai pensé au Crédit Impôt Recherche , passé de 1.5 milliards à 6 milliards annuels (soit deux fois le budget du CNRS) sous la présidence Sarkozy. J’ai pensé au Président Hollande, puis au Président Macron qui ont continué sciemment ce hold-up qui fait que je passe mon temps à écrire des projets ANR.

[Ndlr: Alors que de l’argent public est orienté massivement vers les entreprises privées (CIR), les chercheurs doivent de plus en plus répondre à des appels à projets, comme ceux de l’ANR (agence nationale de la recherche créée après 2007) pour financer leur recherche. Par ailleurs, la Cour des comptes a émis un avis très critique sur le CRI jugé opaque et frauduleux.]

J’ai pensé à tous les projets ANR que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés.

[Ndlr: Les taux de succès de financement sont très bas et les chercheurs perdent énormément de temps à rédiger des projets, souvent en vain. Certains projets, pourtant jugés très bons, ne sont pas financés.]

J’ai pensé que je pourrais arrêter d’écrire des projets ANR. Mais j’ai pensé ensuite aux précaires qui travaillent sur ces projets dans notre équipe.

J’ai pensé que dans tout ça, je n’avais plus le temps de faire de la recherche comme je le souhaitais, ce pour quoi j’avais signé.

Je me suis souvent demandé si j’allais changer pour un boulot inintéressant, nuisible pour la société et pour lequel on me paierait cher?

Non , en fait.

J’ESPERE PAR MA VOIX AVOIR FAIT ENTENDRE LA COLERE LEGITIME TRES PRESENTE DANS LE MILIEU UNIVERSITAIRE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE EN GENERAL.